Mike Studer (MS) Bonjour à tous !
Mike Toniolo (MT) Salut !
MS Salut ! Aujourd’hui, nous rendons visite à Mike de tbfarming et nous avons quelques questions à lui poser. Première question : Comment et quand tbfarming a-t-elle été fondée ?
MT Eh bien, pour commencer, en 2014, nous avons lancé un projet purement pharmaceutique portant sur le cannabis. Puis, en 2015, nous avons reçu des demandes de Lidl et d’autres chaînes de supermarchés. En Suisse, la production de fleurs de CBD est considérée comme un “substitut du tabac”, un terme qui, à mon avis, n’est pas vraiment adapté. J’aurais préféré parler de “substitut du THC” plutôt que de “substitut du tabac”. Mais la réglementation suisse soumet à la fiscalité du tabac tout ce qui peut être fumé. C’est pourquoi on l’appelle “substitut du tabac”. Après ces demandes, nous avons créé tb farming. “tb” signifie “The Botanicals”. Nous avons produit des fleurs pour les chaînes de supermarchés.
MS C’était donc en 2014 ?
MT Nous avons effectivement créé l’entreprise en 2016. La demande date de 2015 et, en 2014, nous avions déjà fondé la société pharmaceutique, qui ne pouvait pas vendre de substitut du tabac. Nous avons donc dû créer deux sociétés : l’une pour le marché récréatif (destiné à la consommation fumée) et l’autre pour le marché pharmaceutique.
MS D’accord. Quelle était la vision initiale derrière tb, et comment a-t-elle évolué avec le temps ? Quelle était votre intention de départ ?
MT Avec tb, nous avons lancé une gamme de cosmétiques sur le marché. Nous avons fourni des fleurs aux supermarchés, puis nous avons produit des chewing-gums commercialisés en Allemagne chez Rossmann et DM. Nous avons également fourni des produits à différents marchés lifestyle et développé de nouveaux articles grâce à tb. Nous avons toujours été des pionniers sur le marché européen du CBD. Ensuite, lorsque la Suisse a modifié la réglementation afin de permettre la recherche sur des fleurs médicinales à teneur élevée en THC, nous avons immédiatement demandé une licence de recherche et sommes devenus la première entreprise à obtenir la licence de culture de cannabis médicinal en Suisse.
MS C’était précisément ma question : il vous faut donc une nouvelle licence permettant la culture de fleurs contenant du THC, et pas seulement du CBD comme substitut du tabac ?
MT En 2019, j’ai vendu l’entreprise pharmaceutique que j’avais fondée en 2014, et avec tb farming, nous avons décidé d’intervenir sur les deux marchés, étant donné que la population suisse comprend désormais la différence entre le marché récréatif et le marché médical. Depuis 2019, il est donc acceptable qu’une même entreprise couvre ces deux secteurs.
MS Le marché récréatif, c’est donc la consommation destinée aux adultes ?
MT Oui, pour le loisir.
MS
Aux États-Unis, c’est à partir de 21 ans, et en Suisse à partir de 18. Qu’est-ce qui di stingue tb farming des autres producteurs de cannabis en Suisse ?
MT
Il existe énormément de producteurs en Suisse, qui compte environ 9 millions d’habitants. En 2017, nous avions plus de 1 200 entreprises de culture. Environ 1 000 d’entre elles ont fait faillite, pour différentes raisons. Mais notre principal atout, ou du moins ce qui fait notre force, c’est que nous avons documenté chacun de nos processus de travail. Chaque étape de production est revue et optimisée en continu. Depuis 2014, nous respectons les normes GACP (Good Agriculture and Collection Practice), imposées par notre projet pharmaceutique, et cela implique de tout consigner. Je ne parle pas seulement de l’humidité, de la température ou de la teneur en CO₂, mais aussi de chaque opération, de toutes les vérifications en binôme, etc. Nous conservons également des échantillons de contre-analyse, nous réalisons des tests en laboratoire, des analyses de sol et bien d’autres choses encore.
MS
Réalisez-vous toutes les analyses en interne ? Par exemple, les analyses de microbiologie ?
MT
Non, nous mesurons la teneur en cannabinoïdes en interne et nous confions les analyses de sol à un laboratoire externe. Ensuite, nous faisons valider nos propres analyses de cannabinoïdes par un autre laboratoire indépendant.
MS
Utilisez-vous des méthodes de culture particulières ou durables ?
MT
Oui, et je peux affirmer avec fierté que nous sommes la seule entreprise au monde à récolter 13 fois par an dans chacune de nos salles de floraison. Nous avons mis au point ce système il y a trois ans, lorsque notre facture d’électricité a soudainement triplé. Nous avions le choix : trouver le moyen de rentabiliser ces coûts plus élevés ou tout arrêter. Nous avons opté pour la créativité, et nous disposons aujourd’hui d’un “USP” (Unique Selling Proposition) mondial que personne n’a encore reproduit.
MS
J’en ai été témoin, c’est vraiment impressionnant. Pour revenir à la question de la consommation d’énergie : comment optimisez-vous votre consommation ?
MT
Un petit pas serait de passer des lampes HPS aux LED. Les coûts d’investissement des LED n’étaient pas rentables selon mes calculs précédents. Mais les prix ont baissé et la Suisse subventionne désormais l’abandon des HPS au profit des LED. Cela devient donc intéressant d’y réfléchir.
MS
Oui, c’est la question que je me posais : passer en LED, est-ce que ça vaut réellement le coup ?
MT
Je pense que ce qu’il y a de plus durable chez nous, c’est l’emplacement. Nous avons choisi notre site de production avec soin, afin d’avoir un raccordement électrique suffisant et de pouvoir nous agrandir. Nous nous fournissons en électricité auprès d’une centrale hydroélectrique située à quelques mètres à peine.
MS
Donc un trajet très court pour une énergie propre.
MT
Exactement, et véritablement respectueuse de l’environnement.
MS
C’est de l’énergie hydraulique, pas de panneaux solaires ou d’éoliennes, dont la production peut parfois impliquer une énergie grise. Avec l’hydroélectricité, vous êtes très bien placés.
MT
Oui, et la proximité de la centrale rend tout cela très logique d’un point de vue économique et environnemental. De plus, nous fournissons la chaleur excédentaire à des bâtiments voisins.
MS
Vous avez un système de chauffage à distance, je crois ? Les bâtiments scolaires, les maisons de retraite…
MT
C’est ça. Nous avons une chaudière à copeaux de bois (biomasse) qui peut brûler des copeaux humides en provenance des forêts locales. L’énergie de chauffage ainsi produite alimente deux écoles adjacentes, un lotissement et une maison de retraite. Bien sûr, nous chauffons aussi notre propre bâtiment. C’est l’une des raisons qui nous a poussés à nous installer ici.
MS
C’est tout à fait sensé. Pour en revenir à l’essentiel : cultivez-vous des variétés spécifiques, des strains particuliers ?
MT
Tu parles du passé ou de l’avenir ?
MS
Commençons par ce que vous produisez actuellement, puis parlons de vos perspectives.
MT
Nous avons conclu des contrats de collaboration avec plusieurs grandes marques de cannabis, qui disposent de leurs propres breeders et lancent régulièrement de nouvelles variétés. Nous ne souhaitons pas mettre en avant des clones ou des strains particuliers, mais plutôt accompagner ces marques vers le marché médical professionnel. Par exemple, nous avons signé un accord avec Barneys Farm et créé une coentreprise avec Sensi Seeds. Ensuite, les grands “super brands” américains sont aussi très intéressés à passer par nous pour accéder au marché. C’est en cours de discussion.
MS
Nous en reparlerons peut-être plus tard. Comment garantissez-vous un niveau de qualité élevé sur la durée ? Car vos fleurs sont vraiment de grande qualité. Comment assurer cette constance ?
MT
Cela n’est possible qu’en standardisant les processus. Dès qu’on modifie un process, dans le monde du cannabis, il faut environ un an pour que tout fonctionne parfaitement. Nous avons réussi à tout standardiser il y a sept ans, et depuis, nous n’avons mis en place que de légères modifications, elles aussi standardisées. C’est la seule façon d’obtenir des produits homogènes à chaque récolte.
MS
Cela implique aussi de disposer de la bonne génétique, en conservant des plantes mères et en procédant par bouturage. Quels sont les principaux jalons pour obtenir le produit fini ?
MT
Excellente question. Le cannabis est un organisme vivant qui s’adapte à l’environnement, aux cultivateurs et à l’infrastructure. Si l’éclairage, l’humidité, le CO₂ ou l’arrosage varient en permanence, et si l’équipe change régulièrement, on n’obtiendra jamais de résultats cohérents.
MS
Je suis tout à fait d’accord.
MT
Nous, par exemple, ne cultivons pas à partir de semences, parce que les semences ne sont pas encore suffisamment standardisées. Les “super génétiques” sont des phénotypes. Pour reproduire notre process en conservant la même qualité, il faut des plantes mères. Les boutures, copies exactes de ces mères, passent en phase d’enracinement, puis de croissance, puis de floraison, avant la récolte. Ce cycle est toujours le même.
MS
Si je comprends bien, il faut minimiser au maximum les variations entre les différentes étapes, y compris l’arrosage.
MT
Oui. Never change a running system.
MS
C’est tout à fait vrai. Comment réagissez-vous à la demande croissante de qualité sur le marché ?
MT
C’est une très bonne chose. Je viens de l’environnement “illégal”, je cultive du cannabis depuis 29 ans. En Suisse, jusqu’en 2012, la culture de cannabis à teneur élevée en THC n’était pas considérée comme illégale. Le pays a donc une longue histoire, et de nombreuses génétiques américaines à la mode viennent à l’origine de chez nous, du Tessin, puis sont passées par les Pays-Bas et ont été échangées avec des variétés américaines. Pour revenir à ta question, dans le marché noir, il n’y avait ni critères de qualité ni organismes de contrôle. On pouvait trouver des fleurs contaminées aux métaux lourds, au pesticide, à la moisissure, etc. Le marché légal, lui, impose des contrôles plus stricts. Il faut garantir une certaine qualité si on veut convaincre les clients. Je trouve ça essentiel. On fait aussi des analyses poussées sur la présence de métaux lourds, de pesticides et la contamination microbiologique. Sans parler de la couleur : si la fleur est trop foncée, elle ne plaît pas. Pour développer l’arôme, il faut réduire l’engrais à temps et respecter certaines étapes avant la récolte. Ensuite, la phase cruciale est le séchage, suivi du curing. Ce n’est qu’à ce moment-là que le produit devrait être commercialisé.
MS
Effectivement, dans le marché illégal, il n’y avait pas de contrôle de la qualité et les clients, faute de mieux, devaient se contenter de ce qu’ils trouvaient.
MT
Oui, un “client illégal” ne va guère se plaindre.
MS
Ni poster de commentaires négatifs en ligne… Sérieusement : comment vois-tu l’évolution du marché du cannabis dans les 3 à 5 prochaines années ?
MT
Avec les changements réglementaires, le marché se polarise. On observe divers “coups de projecteur” liés à ces évolutions. Beaucoup de concurrents vont apparaître, et il y aura une sorte de confrontation. Mais c’est aussi positif : le cannabis va enfin pouvoir retrouver sa place au sein de la société.
MS
Exactement, il est temps de lever le tabou et de donner à la plante la reconnaissance qu’elle mérite depuis longtemps. Quels défis posent les lois actuelles ?
MT
Nous allons devoir nous spécialiser encore davantage.
MS
Je veux dire, plus spécifiquement, la législation suisse ?
MT
Si tu parlais des pays européens, je dirais qu’il n’y a pas encore de réglementation commune sur le cannabis. Je trouve bien que la Suisse ait d’abord mis en place des études sur la production et la consommation récréative. Les données de ces projets de recherche aideront à élaborer une législation réfléchie lors de la légalisation totale. Dans d’autres pays, la légalisation a été parfois mal organisée, ou partielle, avec beaucoup de choses non prises en compte. La Suisse est plus méthodique.
MS
C’est aussi mon point de vue : la Suisse travaille de manière réfléchie. J’ai vu ce qui se passe aux États-Unis et au Canada. Le Canada, ça va, mais certains États américains sont mal organisés. Souvent, les gens chargés de faire la loi n’ont pas une bonne connaissance du sujet, ce qui donne des résultats désastreux. Pour développer une véritable industrie, il faut être sérieux.
MT
En Suisse, par exemple, il est interdit de produire plus de cannabis médical que la demande réelle. Au Canada, sans limite, certains producteurs ont accumulé des stocks invendus et se sont tournés vers le marché noir. Ici, la loi oblige à conclure des contrats écrits pour vendre le cannabis médical, avec des acheteurs certifiés GMP ou EU-GMP. On évite ainsi que le surplus soit détourné.
MS
C’est logique. Pour ce qui est de la technologie : y a-t-il des innovations à venir ?
MT
Oui, beaucoup de choses autour du spectre lumineux des LED et de la gestion du climat. On voit de plus en plus de structures fermées, sans échange d’air avec l’extérieur. Cela requiert une climatisation performante. La demande est forte, donc les ingénieurs se creusent la tête, et c’est très positif.
MS
Il y a pas mal de produits intéressants sur le marché, parfois pas encore matures pour les installations industrielles, mais on avance. Quels sont tes projets pour les cinq prochaines années ?
MT
Nous visons le top 10 en Allemagne, et nous sommes bien placés pour ça. TB Farming ne commercialise pas seulement des fleurs de CBD ou médicinales, mais aussi des boutures pour le marché allemand. Et tu sais que d’autres pays européens suivront. Nous sommes verticalement intégrés et nous avons l’expérience : nous avons déjà dû adapter nos capacités en fonction des changements législatifs, donc nous pouvons évoluer rapidement.
MS
La flexibilité est cruciale. Et, comme tu dis, il faut de l’expertise pour maintenir un niveau de performance aussi élevé. Il faut des gens qui maîtrisent chaque détail.
MT
De nombreuses entreprises de cannabis ont fait l’erreur d’être fondées par des passionnés, puis revendues à des financiers. Ces derniers ont renvoyé les passionnés, pensant qu’on n’avait pas besoin d’amour de la plante ni de connaissances approfondies, “puisque ce n’est que du jardinage”. Ils se sont trompés. Il faut une réelle expertise et la passion qui va avec.
MS
Et la passion, oui. On la ressent à chaque fois qu’on vient vous voir. Ce n’est pas comme un abricotier ou un pommier.
MT
Non, clairement pas.
MS
Un jardinier paysagiste, sur le papier, a peut-être les compétences, mais le résultat ne serait pas le même. Quel est ton point de vue sur le rôle du CBD sur le marché ?
MT
Personnellement, j’ai arrêté de consommer du THC il y a dix ans pour des raisons professionnelles et de responsabilité. J’ai été le premier en Suisse à cultiver et à vendre des fleurs de CBD. Je trouve ça formidable. Du jour au lendemain, j’ai abandonné le THC pour le CBD, sans rien perdre. Je n’ai pas dû changer mes amis ni mon rituel du joint, ni renoncer à l’odeur ou au goût du cannabis. Le grand avantage, c’est que j’ai gagné en confiance en moi et en capacité de travail, ce qui était très important pour fonder cette belle entreprise.
MS
Je suis entièrement d’accord. On peut continuer à profiter du goût, sans l’effet planant trop prononcé.
MT
Oui, c’est ma perception. Ne me citez pas là-dessus, mais pour moi, la fleur de CBD est le meilleur substitut au THC. La seule dépendance que peut provoquer le cannabis, c’est le rituel, et grâce au CBD, j’ai conservé mon rituel sans effort.
MS
Exactement. Pour conclure cet échange passionnant, je voudrais parler d’un partenariat avec Swiss Cannabis Experience. Nous voulons être un pont entre les différentes cultures du cannabis, pour les passionnés et ceux qui le deviendront. Au final, il s’agit de partager une vision humaine, et d’informer sur la plante de cannabis. Nous pourrions envisager des visites ou des ateliers chez vous ?
MT
Avec plaisir. Nous faisons ça depuis dix ans, presque portes ouvertes. Bon, c’est sûr qu’il vaut mieux prendre rendez-vous ! Il faut comprendre que les gens déjà séduits par le cannabis sont acquis à la cause. Mais il faut convaincre ceux qui y sont opposés. Et on ne les convaincra pas en restant fermé. Moi, j’aime bien faire visiter, car on voit tout de suite l’étonnement chez les gens qui ne se doutent pas des innombrables possibilités : on peut fabriquer des voitures, des maisons, des matériaux de construction, des vêtements, du papier, du plastique, des litières pour animaux, voire des batteries ! La plupart des gens n’ont entendu que “le THC est dangereux”.
MS
Une drogue, point.
MT
Et c’est tout.
MS
J’aime aussi beaucoup tout ce qui touche à l’isolation. C’est de plus en plus recherché pour son aspect écologique et durable.
MT
Tiens, regarde : ceci est un matériau destiné par exemple aux petits rongeurs ou lapins, mais ce snowboard derrière moi est aussi fabriqué avec du cannabis. Il existe également des litières pour animaux plus gros, et des panneaux d’isolation pour la construction, etc.
MS
Pour les gros animaux…
MT
Mais ceci, par exemple, est un panneau composite. Aujourd’hui, les normes de sécurité incendie sont très strictes, et le cannabis mélangé à la chaux ne brûle pas. Non seulement c’est un excellent isolant, mais c’est aussi ignifuge. Il est possible de le certifier, et on peut imaginer un usage industriel très prometteur. Dans dix ans, j’espère que tout le monde le saura. Pour l’instant, les architectes l’ignorent souvent, et les maîtres d’ouvrage aussi. Le marché est donc encore restreint, mais ça va venir.
MS
Le problème est que le coût est souvent le facteur déterminant en construction. J’ai longtemps travaillé dans ce secteur.
MT
Regarde, là, on a des panneaux isolants de différentes épaisseurs, 20 ou 30 cm. Ils réduisent la consommation d’énergie en hiver, et ils sont recyclables. C’est la même matière que Tesla utilise dans la garniture intérieure de ses portes, tout comme BMW et Bugatti. Mais ces marques n’en font pas spécialement la publicité, probablement à cause des préjugés.
MS
On devrait en parler davantage, clairement.
MT
Oui, c’est pourquoi j’apprécie ta démarche de sensibilisation. Et je serai le premier à ouvrir les portes de notre entreprise si tu viens avec un groupe pour une visite.
MS
On a déjà hâte de découvrir ta passion et ton expertise !
MT
Merci beaucoup.
MS
Merci à toi.
MT
Merci à toi.
MS
Je te souhaite un excellent vendredi et un bon week-end.
MT
Merci, pareillement.
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